Fondation de l'association
LES PRÉCURSEURS DE LA SAUVEGARDE ET LES DÉBUTS DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DU PALAIS DES PAPES, Michel Hayez (président de de la société des amis du Palais des papes), dans Annuaire de la Société des Amis du Palais des Papes, 2006, p. 30-35.
Au début du XXe siècle, le patrimoine national, pour en rester dans les limites de l’hexagone, continuait de subir de graves dommages, mais au milieu de cet océan de vandalisme naissait un courant de réactions des plus favorables. Les « amis » de tel monument ou site font florès. Le Touring-club de France crée en 1904 son comité des sites et monuments, Charles Normand, fondateur de la revue L’Ami des monuments (1887), installe en 1909 dans l’hôtel de Sully, quartier du Marais, un musée du contre-vandalisme. Les lois de protection des monuments historiques furent promulguées le 30 mars 1887 et surtout le 31 décembre 1913 (1) .
Le pays d’Avignon ne demeurait pas en reste et Frédéric Mistral brandit le drapeau de la défense du palais des papes qui durant son utilisation comme caserne pendant un siècle avait subi au sortir d’un grand délabrement, nombre de transformations et surtout de déprédations ayant porté atteinte tant aux volumes qu’aux fresques: ami et grand admirateur de l’architecte Henry Révoil qui avait commencé son ouvrage en 1879 par la chapelle de Benoît XII et l’étendit jusqu’en 1898, Mistral écrit que «la restauration du palais sera le couronnement majestueux de l’ère félibréenne » (1884), voyant en lui « lou panteon de la Prouvènço » pour y présenter notamment les tableaux de l’Ecole d’Avignon et la sculpture provençale (1895). Tandis qu’un journaliste du Figaro, Ludovic Chénard , faisait campagne, l’on vit le député maire Pourquery de Boisserin, démolisseur de portes et de remparts, de la commanderie de St-Jean de Jérusalem place Pie (1899), sous l’emprise d’un urbanisme galopant, encourager la restauration du palais (1896) et en janvier 1901 une convention passée entre l’Etat et la Ville (approuvée par loi du 14 avril 1902) approfondissait la question. L’architecte Henri Nodet prit alors le relais de Révoil (2) . Nombreux étaient alors les écrits d’archéologues et d’érudits qui commencèrent à s’intéresser surtout aux fresques tel Eugène Müntz (1881). Alors que les membres de la Société française d’archéologie tenaient leur congrès à Avignon, l’archiviste départemental Léopold Duhamel fit paraître Les origines du palais des papes sous Jean XXII (1882). En 1906, le départ du 58e régiment d’infanterie et le transfert du palais de l’État à la Ville marquèrent un tournant décisif: il est ouvert au public en 1907, bien modestement au début mais les publications affluent : Duhamel publie même dès 1904 un Guide de l’étranger dans ce monument ; 1907, c’est l’avocat Félix Digonnet qui rédige un fort volume sur le palais tandis que Léon-Honoré Labande étudie les fresques et entraine la Société française d’archéologie de nouveau réunie à Avignon en 1909 dans la visite du monument. La même année paraissent coup sur coup des études de Gabriel Colombe, Robert André-Michel, Joseph Girard, qui en 1913 livre un guide officiel du visiteur, répondant très partiellement encore à l’un des vœux exprimés par le maire Louis Valayer lors de l’installation le 16 mai 1912 de la commission consultative du palais, soit un livre sur l’histoire monumentale d’Avignon et du palais. Le maire dénombrait alors 30000 visiteurs « étrangers ». Cette commission comprenait le président de l’Académie de Vaucluse, celui de la Société des amis du palais des papes, docteur Alfred Pamard, celui de la Société vauclusienne des amis des arts, déclarée à la préfecture le même jour que la précédente (22 août 1908) et qui associait à ses objectifs de développement du goût artistique et d’expositions la conservation des monuments, ainsi que l’architecte des monuments historiques Louis Valentin, le conservateur du musée Calvet, Girard, les docteurs Colombe et Pierre Pansier, le chanoine Henri Requin , archiviste diocésain, correspondant de l’Institut, Joseph Didiée, fonctionnaire des travaux publics qui tînt la plume pour les comptes rendus de ladite commission dans l’ Annuaire de la Société des amis du palais, l’ancien député Jean Saint-Martin, historien à ses heures, et trois conseillers municipaux. Plusieurs de ces membres avaient pris l’habitude de se réunir quelque quatre ans plus tôt sous l’égide de la Société des amis du Palais des papes et des monuments d’Avignon (ainsi que l’indique le titre de son premier annuaire publié en 1912) ou bien de l’Académie mais il fallait un notable, personnalité influente, pour fonder une nouvelle association culturelle. L’on ne soulignera jamais assez la place éminente que tînt le corps médical dans la vie de ces sociétés. Ce fut ainsi le docteur Alfred Pamard (1837-1920), fils de Paul, maire de 1852 à 1870 qui avait entrepris la reconquête du palais sur le ministère de la Guerre. Ancien interne des hôpitaux de Paris, Alfred avait succédé à son père dans de nombreuses fonctions officielles – chirurgien en chef de l’hôpital Ste-Marthe, médecin de la fonction publique, conseil départemental d’hygiène, cours d’accouchement-. En 1900, auteur d’une thèse sur le glaucome, il s’était associé au docteur Pansier, ophtalmologue lui-même, pour faire paraître les Œuvres ophtalmologiques de Pierre-François Pamard, mort en 1793. A ses débuts, la Société était à l’instar de l’Académie, élitiste et très hiérarchisée : des présidents d’honneur , des membres fondateurs (sept, influence du félibrige et de ses « primadié » ?) ayant racheté leur cotisation pour 300 fr. (environ 6000 fr. de l’an 2000, soit plus de 1750 euros), d’autres membres fondateurs (36) payant 20 fr. (soit environ 70 euros), onze membres titulaires (10 fr. de cotisation), mais un seul adhérent dont la condition était d’être domicilié à Avignon (5 fr. de cotisation) et qui assuma la fonction de trésorier, Henri Fabre, secrétaire de la Chambre de commerce. Le président Pamard était entouré de Félix Digonnet et du président de la Chambre de commerce comme vice-présidents, Joseph Girard était adjoint à un secrétaire général, huit membres leur étaient associés pour former le « comité » (l’on n’emploie pas encore l’expression de conseil) dans lequel entrèrent le chanoine Aurouze, docteur ès-lettres et félibre célèbre, Henri Guigou, prédécesseur de Valadier au fauteuil de maire, Auguste Palun, riche industriel et aquarelliste distingué (qui se révéla un bienfaiteur insigne de l’Académie de Vaucluse), les docteurs Pansier et François Remy-Roux, alors président de l’Académie. Sur cet ensemble, il y avait sept membres de la Légion d’honneur, dont un grand-croix et deux commandeurs.
Pamard trouva l’opportunité d’attirer à la Société des personnalités célèbres qui lui apportèrent subsides et réputation. Comment ne pas supposer qu’il trouva dans cette démarche le concours d’un jeune confrère de quelque vingt ans plus jeune ? Anatole Chauffard (1855-1932), l’un des sept fondateurs, était fils et petit-fils de membres de l’Académie de médecine, comme il le fut lui-même en 1902. Né à Avignon, sa carrière, à l’instar de son père, se déroula entièrement à Paris (hôpitaux Broussais, Cochin, St-Antoine) ; titulaire de la chaire d’histoire de la médecine, ce professeur produisit ou collabora à un nombre considérable de publications, ayant acquis sa notoriété dans l’étude des maladies du foie. Les réseaux de relations jouèrent : les trois présidents d’honneur étaient en 1912 Maurice Barrés, Léon Bonnat et Jules Charles-Roux. Le premier (1862-1923) avait été élu en 1906 à l’Académie française et député de Paris ; il était devenu en 1908 châtelain de Mirabeau. Romancier fort prisé, chantre meurtri des Lorrains annexés à l’Allemagne par la défaite de 1870, il tînt dans Y Echo de Paris la chronique de la Grande guerre pour soutenir le moral français (14 volumes dans l’édition définitive de 1922-1924 !). Dans ses grands discours à la Chambre, publiés en 1914 sous le titre de La grande pitié des églises de France, il proposait de classer toutes les églises antérieures à 1800. Bonnat, membre de l’Institut, célèbre pour ses grands tableaux religieux, avait été le portraitiste officiel des présidents de la République de 1880 à 1907 et de beaucoup de personnalités du monde politique, littéraire et religieux. En 1909, il peignit le portrait du duc de Loubat, exemple caractéristique du mécène: riche milliardaire né à New-York, il consacrait sa fortune à subventionner chantiers archéologiques et publications scientifiques (nouvelle extension des fouilles de Délos en 1903). Léon XIII l’avait fait « duc de Loubat » en 1893, titre qu’il n’avait pas le droit de porter aux Etats-Unis, mais son domicile était parisien. Il figure lui aussi parmi les sept fondateurs de la Société. Troisième président d’honneur d’alors, Jules Charles-Roux (1841-1918). C’est le grand industriel marseillais (savonneries), commissaire de l’exposition coloniale de 1906 ; il écrit dans la Revue des Deux-mondes, lance une « Bibliothèque régionaliste », ses Souvenirs du passé (1906-1914) représentant six luxueux volumes in-4°. Fait majorai du félibrige, l’on a pu écrire que ses obsèques eurent le caractère d’un deuil national. Dans son sillage ou dans celui du président de la Chambre de commerce Ruat ou d’Auguste Palun déjà cité, entrèrent à la Société les industriels Jules Pernod- Ripert, des membres des familles Verdet et King, Pierre Thomas (usine au Pontet) , habitant le bel hôtel de la rue du Collège de la Croix (naguère archevêché, aujourd’hui siège du conseil départemental du tourisme). Méritent encore d’être cités parmi les soutiens déterminants Georges Leygues et André Hallays. Le député Leygues (1857-1933) qui à maintes reprises détînt un portefeuille ministériel, le plus connu étant celui de la marine, intervint pour faire reconnaître la Société d’utilité publique le 17 juillet 1918. Il avait racheté sa cotisation pour 300 £ et devînt président d’honneur en 1914. André Hallays (1859- 1930), cité par le président Pamard en 1909 comme ayant rallié la Société dès ses débuts, l’année où il livrait au public son Avignon et le Comtat Venaissin, objet de plusieurs rééditions, était le journaliste érudit et délicat qui dans une chronique hebdomadaire, « En flânant », du Journal des débats racontait les visites qu’il effectuait en France et au-delà. Louis Réau le qualifie de « défenseur les plus ardents de nos monuments en péril » en modérant néanmoins sa véhémence à l’égard de l’œuvre de restauration de Viollet-le-Duc, notamment pour Vézelay. Dans la quatrième édition de son ouvrage, Hallays ne manqua pas de critiquer certaines interventions sur le palais jugées excessives. Auprès des architectes, les érudits, conservateurs et historiens furent les artisans de fait de la mise en valeur du palais et de son attrait pour les visiteurs. Nommé conservateur du palais en mai 1913 par le maire Valayer, le chanoine Henri Requin (1851- décembre 1917) s’était distingué par de nombreux articles y compris dans des revues nationales, abordant tous les domaines de l’histoire de l’art du moyen âge au XVIIIe siècle avec une prédilection pour les primitifs français au moment où une grande exposition les faisait découvrir par les Parisiens et autres amateurs (1904). Son travail inlassable de dépouillement des minutes notariales, toujours utilisé au Archives départementales, lui faisait renouveler la connaissance de ces artistes. Sur le palais, le grand projet du chanoine fut la création d’un musée de moulages, conçu comme une section d’un plus vaste ensemble et Girard le présente dans l’annuaire de 1912. Labande s’entremit auprès du cardinal Rampolla pour obtenir le buste (moulage) de Benoît XII et la Société des amis envisage de prendre à ses frais celui du cardinal Pierre de la Jugie dans la cathédrale de Narbonne, si ses finances le lui permettent ; elle offre une cheminée provenant de la chartreuse de Villeneuve. Dans ses statuts du 5 novembre 1916, la Société attribue la qualité de membre donateur sur la base de 5000 f. minimum ou d’objets d’art équivalents. Valayer, Chauffard, Colombe et autres font des dons, mais le déclenchement de la Grande guerre perturbe ces débuts d’enrichissement artistique réalisés en parfaite entente avec la Commission consultative et le palais est en partie réoccupé par l’Armée : le trésorier Henri Fabre est mobilisé le premier jour ; la mort au champ d’honneur le 13 octobre 1914 de Robert André-Michel aux débuts d’historien si prometteurs amènera la Société à apposer à sa mémoire une plaque commémorative. Dans son annuaire qui poursuit sa parution, Gabriel Colombe remplace pour la « chronique monumentale » Joseph Girard, mobilisé et grièvement blessé à la tête. En 1917, la Société fait placer une main courante le long de l’escalier de la tour de Trouillas pour les visiteurs et en 1919 le conseiller général et maire de Malaucène, Joseph Geoffroy, alors président de la Chambre de commerce, suivi par Palun , suggère la rédaction d’un prospectus accompagné de la traduction anglaise pour attirer les visiteurs, question à examiner avec le Syndicat d’initiative, ce qui amena probablement en 1920 le versement d’une subvention de 50 f. par la Société. A la mort du chanoine Requin survenue le 12 décembre 1917, que Valayer avait incité à donner une partie de ses collections, Colombe (1859-1950) le remplaça comme conservateur. Le moulage du gisant de Clément VI a été exécuté mais la Ville n’a pas tenu sa promesse de participer aux frais; aussi le docteur Colombe et ses trois frères après avoir offert 800 f. pour le support inspiré d’un tombeau d’évêque, désintéressent intégralement le mouleur. En 1919, c’est la Société qui fit la dépense de 740 f. pour payer à un serrurier la rampe de la tour St-Laurent. Médecin formé à Paris, installé un moment dans le Puy-de-Dôme, Colombe y avait alors soigné Isabelle d’Orléans, comtesse de Paris, petite-fille de Louis-Philippe et du roi d’Espagne, Ferdinand VII (elle fut la grand’mère du comte de Paris décédé en 1999) et la fit admettre parmi les présidents d’honneur de la Société en 1915-1916. Il revient dans sa ville natale en 1919 et se livre à des études minutieuses du palais qui donnèrent lieu à une soixantaine d’articles, la plupart parus dans les Mémoires de l’Académie de Vaucluse. Le champ d’activité des membres de la Commission consultative ne se réduit pas au palais : en mai 1912, ils visitèrent les remparts et en 1919 dans sa «chronique monumentale », Colombe évoquait l’élargissement du petit bras du Rhône pour sauvegarder une arche du pont St-Bénézet, la consolidation du clocher des Augustins, l’assainissement de la chapelle de l’Oratoire, des réouvertures de baies sud de la métropole, le transfert place de la Mirande, soit devant le bel hôtel de Vervins, propriété de la famille Pamard, des grilles se trouvant devant le petit palais.
Le 20 mai 1920, Alfred Pamard disparut laissant des regrets unanimes eu égard à l’œuvre accomplie; il fut remplacé par Auguste Palun. La Société comprenait alors onze membres ayant racheté leur cotisation (300 f), quarante-quatre membres fondateurs et vingt-sept titulaires. L’annuaire paraissait régulièrement, illustré par les photos de Bartesago quand ce n’était pas par une aquarelle de Palun ; la minceur de ses livraisons malgré la progression de son coût d’impression, ne permettait guère sans doute de donner beaucoup de pages à ses rédacteurs érudits.
En un siècle, la vie de la Société a beaucoup évolué : elle ne participe plus au financement d’aménagements touristiques dans le palais, l’Etat, la Ville sous la forme d’une société d’économie mixte ayant pris largement le relais. Le théâtre de ses activités s’est élargi, visites de monuments et de villages proches d’Avignon et la tradition de l’annuaire nourri de travaux inédits s’est bel et bien maintenue.
1 . Pour plus de détails, voir Louis Réau, Histoire du vandalisme. Les monuments détruits de l’art français,1958, éd. augmentée par M. Fleury et G.-M. Leproux, Paris, Laffont, coll. « Bouquins »,1994.
2 . Dominique Vingtain, Monument de l’histoire. Construire, reconstruire le palais des papes, XlVe-XXe s., catalogue de l’exposition de juin-sept. 2002, p. 171-183, 272-282 (passim) retrace les étapes de la restauration avec de nombreuses références archivistiques à l’appui. Pour la bibliographie des travaux publiés, voir du même auteur Avignon, Le palais des papes, La Pierre-qui-vire, 1998, coll. « Zodiaque ».